Nous voici au terme d’un x-ième sommet franco- allemand, élargi éventuellement à Mr Monti mais non à l’Italie car il serait sans doute très exagéré, ayant été « désigné » par la BCE et les « marchés », de prétendre qu’il est le représentant légitime de notre voisine transalpine.
Un sommet qui n’a, au fond , que confirmé ce que l’on sait déjà, à savoir que l’Allemagne ne reviendrait pas sur ce qu’elle s’est efforcée d’ imposer depuis 30 ans et qui a abouti à l’euro tandis que la France resterait servilement dans ce qu’elle accepte depuis que le parti du renoncement est au pouvoir.
En conséquence Mme Merkel a répété que la BCE resterait la BCE, que les euro bonds étaient des billevesées, et bien entendu que l’euro resterait ce qu’il est, qu’il faut comprendre comme l’euro mark.
Sur quoi Mr Monti de son strapontin s’est aligné sur la position de Mme Merkel dans une sorte d’axe de la vertu chagrine, tandis que Mr Sarkozy , l’œil rivé sur la présidentielle et sur l’électorat libéralo centriste qui le porte, a baissé pavillon conformément à une tradition bien établie désormais en promettant sans contrepartie une révision d’inspiration fédéraliste des traités européens.
Rien de nouveau en réalité !
Sauf Mr Leparmentier , journaliste qui titre dans le Monde du 24/11 sans doute sans le regretter, « la crainte de l’Europe allemande ressurgit chez les dirigeants français » et cite « un poids lourd du gouvernement français » qui aurait déclaré « Les Allemands dominent tout. On attend leurs décisions sans avoir de prise sur les évènements »….Merci le Monde, tout arrive même au royaume de la pensée unique.…J’ai écrit ici « L’Europe allemande ou les erreurs de la France » …le 29 Janvier 2009 !
Nous en sommes donc là après 30 années de mensonges sur une Europe à l’eau de rose , tandis que la prise de conscience tarde à se faire sur le constat que ce sont les nations qui font l’Histoire, pour celles qui croient en leur destin…et l’Allemagne qui est un grand pays croit dans le sien au moins autant que l’Angleterre et les USA,….Et de toute évidence beaucoup plus que la France !
Alors que prépare l’Allemagne ?
Elle a accepté en son temps l’euro dont elle n’avait pas besoin à condition que ce soit le deutschemark qui soit collé sur l’Europe.
Ce faisant son industrie , qui bénéficie de l’ image centenaire du « made in Germany » , d’un consensus social particulier, et de structures puissantes dans des spécialités porteuses, a éliminé ses concurrents de la zone en se mettant à l’abri des dévaluations de partenaires européens moins bien dotés, tout en important à bas coût des pays émergents.
On connait la suite…explosion des excédents du commerce extérieur de l’Allemagne, et symétriquement des déficits de la France , croissance molle acceptable pour une démographie allemande déclinante mais suicidaire pour la jeunesse française…etc.
L’Allemagne a discrètement retrouvé en Europe la place qu'elle considère naturelle dans son fors intérerieur.
La crise financière qui sévit depuis 2008 et enfle avec celle des dettes souveraines risque pourtant de mettre en péril ce bel ordonnancement et elle le sait…
A cet égard le débat chez elle, qui transpire peu en France, porte non pas tant sur l’efficacité d’une BCE prêteur en dernier ressort pour sauver le Sud que sur l’intérêt qui serait le sien de l’accepter.
L’Allemagne est en effet un pays pragmatique qui culturellement pense sécurité ( la fameuse «Sicherheit » si présente dans les préoccupations individuelles) et dispose d’ une stratégie de long terme, à l’instar de celle qui anime ses entreprises familiales , le Mittelstand, qui font le dynamisme du pays.
Avisée aussi, elle sait que l’euromark n’est plus supportable pour le Sud !
Mais lâcher les rênes à la BCE, outre que ce n’est ni dans la tradition ni dans les traités, suffirait il à sauver la zone euro tandis que, via la création monétaire, pourrait être relancée l’inflation tant honnie? L’Allemagne est chaque jour un peu plus un pays de seniors et de rentiers, ne l’oublions pas ! Il lui faut donc des garanties sur la survie de l’euromark qui permet de voyager à bon compte et d'importer pas cher , sur l’inflation qui ne doit pas ronger les rentes et sur la dette qui ne saurait menacer la veuve de Wiesebaden... Voilà ce que commande la « Sicherheit » !
Enfin le choix de l’euromark était une stratégie de puissance en Europe et une divine surprise puisque la France de Mitterand l’avait acceptée. Les Allemands n’aiment pas changer de stratégie de long terme. Aussi la crise de la zone euro leur apparait comme l’opportunité de parachever leur conquête tranquille de la primauté en Europe en la faisant traduire institutionnellement dans des traités révisés. Le traité de Nice avait déjà mis fin à la parité franco-allemande au parlement européen , la prochaine révision établira la mise sous tutelle allemande de la zone euro . « l’Europe parle allemand maintenant ! » s’est exclamé dernièrement un membre éminent de la CDU-CSU, parti de Mme Merkel !...Mr Fillon le tout premier..
Dès lors le plan allemand est limpide:
1) Imposer une cure d’assainissement à tous les pays du Sud afin de rétablir leurs finances publiques , tenter de contenir la contagion à la dette allemande et par dessus tout sauver l'euromark.
2) Institutionnaliser la mise sous tutelle économique allemande de l’ensemble de la zone euro sous une parure fédéraliste, via une révision des traités qui garantira à l’Allemagne un marché « domestique » vaste et contrôlé, la survie de l’euromark, et naturellement la primauté politique qui en découle.
3) En échange et si l'urgence l'exige, céder un peu sur la BCE , mais si possible après engagement des partenaires vassalisés sur les points 1 et 2.
Qu’importe à l’Allemagne, qui a connu la dureté de l’intégration d’une RDA affublée d’un mark surévalué, si ses voisins doivent subir à leur tour une purge sévère ? Ils ne représentent plus que 40% de son commerce extérieur mais les parts de marché seront pour elle si son pari réussit.....ce qui reste toutefois incertain car les évènements pourraient la contraindre à choisir très vite, contre son gré, entre le dogme de la BCE et la survie de l’euro.
Voilà pour l'instant néanmoins ce qui se prépare et voilà ce que notre pays s’apprête à accepter sur l’autel de rêves qui ne sont pas ceux de notre voisin d’outre Rhin et d’une amitié qui n’a de sens que dans le respect mutuel et l’équilibre.
Voilà ce qu'il acceptera au lieu d'imposer une dévaluation indispensable de l'euro, le changement de statut de la BCE à l'image de celui de la FED , le détricotage du traité libéral de Lisbonne, la mise au pas des marchés via la prise de contrôle des banques et la "renationalisation" partielle de la dette en faisant appel aux épargnes nationales.
L’Allemagne n’a imposé à l’Europe que ce que la France , par trahison de ses élites , a concédé : elle ne saurait être tenue pour comptable de nos faiblesses.
Elle parle peu et avance avec constance , tandis que nous déclarons abondament et nous contentons d'agitation brouillonne.
Alors que l’Allemagne s’affirme et que l’Angleterre se maintient , toutes deux fermement en tant que nations, nous persistons de l’UMP au PS et au Vert parti de l'étranger, du Monde aux Echos, à nous évader dans des fantasmes supranationaux sans corps tels les amoureux de la belle Loreleï!
C’est cela qu’il faut cesser, qui passe par une meilleure appréhension de notre voisin d’Outre Rhin et par la ferme résolution de servir d'abord les intérêts des Français qui ne coïncident pas toujours avec ceux des Allemands, car c’est de cela que dépendront demain le retour de la prospérité en Europe et finalement la paix.
Roger Franchino