Alors que le sang coule une fois encore en terre de Palestine, je me souviens de mon dernier séjour en Israël et à Gaza en 1988: vingt ans nous séparent, vingt ans de malédiction religieuse…
En ce mois de Juin 1988, de riches importateurs israéliens de produits occidentaux, me recevaient comme à leur habitude : retords en affaires, charmants en privé.
J’avais tissé, au fil des années, des relations amicales avec Ehud , président de la société et colonel de réserve de Tsahal, et Hillel ,son directeur commercial, officier plusieurs semaines par an en service « actif »…
Basés à Ashdod, ils couvraient directement Israel et,via un agent palestinen prénommé Jalil, les territoires occupés.
Ce vendredi soir là, nous fûmes dîner dans un restaurant de Jérusalem .Mes hôtes prenaient des libertés avec le Shabbat et nous nous régalions d’un remarquable canard à l’orange lorsque deux pavés vinrent fracasser l’entrée, expédiés par une poignée de jeunes gens vêtus de noir, avec des « nattes anglaises » pendouillant des oreilles…
Le restaurateur et mes hôtes sortirent, lancèrent quelques invectives aux jeunes en fuite.. puis nous nous réinstallâmes.
Mes amis israéliens, très incommodés, se confondirent en excuses, et sous une colère contenue se laissèrent aller aux confidences..
Les jeunes à nattes étaient des fanatiques, embrigadés me disaient ils par les extrémistes religieux…Ehud expliqua que, bien que très minoritaires dans la population, ils jouissaient de droits et d’une impunité inouïs, dus au chantage permanent d’un petit parti extrême indispensable au Likoud pour asseoir sa majorité à la Chambre des Députés, et au soutien financier d’une diaspora américaine radicale.
Hillel, l’ officier du service « actions » habituellement discret, me révéla son immense mépris pour ces fanatiques religieux qui étaient parvenus à se ménager l’exemption des périodes de réserve dans l’armée qui s’imposent à tout citoyen israélien, à éviter soigneusement le kibboutz, et à vivre sans travailler aux crochets de la société au motif qu'ils étudiaient la Tora...
« Nous prions …. vous faites la guerre ! », tel semblait être le discours de ces boutefeux illuminés.
Pour le colonel dont les parents avaient péri dans la Shoah, la plus grande menace pour le pays était de céder aux religieux , à leur rêve du Grand Israël et à l'idéologie du " Peuple Elu" qui conduiraient inévitablement à succomber un jour sous le poids démographique et le ressentiment de ses voisins.
Le lendemain matin , j’avais rendez vous avec Jalil à un poste frontière de la bande de Gaza.
Ma sécurité exigeait qu’il vienne me chercher avec une voiture immatriculée en Palestine.
Jalil jaillit de sa vieille Mercedes, jovial comme à l’accoutumé, m’embrassa comme un frère, et m’emmena dans son petit bureau à Gaza : il m’entretint de la difficulté des affaires ici et à Naplouse du fait de l’occupation et des contrôles, mais aussi de sa bonne entente avec mes hôtes de la veille.
Le soir nous dînâmes sous une tente caïdale….et j'évoquais l’incident de Jérusalem.
Je savais que Jalil n'aurait pu jouir de sa position sans l’attitude bienveillante de l’OLP.
Homme d’une cinquantaine d’années, il s’assombrit… puis après un court silence, il me dit son angoisse pour l’avenir, pour lui et plus encore pour ses enfants.
Au sein de l’OLP, l’unité de façade, entretenue par la personnalité de Yasser Arafat, était tout comme en Israel minée par les fanatiques religieux qui s’opposaient aux progressistes.
Ces intégristes qui ne reconnaitraient jamais Israël , étaient animés par des « puissances étrangères », et bénéficiaient du soutien grandissant d’ une jeunesse sans travail, sans espoir, aux parents humiliés quotidiennement par l’occupant.
Je me souviens qu’il me prit les mains et me dit ,:
« Mon ami, toi qui vit en paix en Europe, quel Dieu pourrais tu aimer , si en son nom tu devais avoir peur pour ta femme, ta famille, et l’avenir de tes enfants ?…je ne suis pas différent de toi, ni de nos amis d’Ashdod…Nous voulons vivre , voir grandir dignement nos enfants, puis nos petits enfants… no more fear, my friend…no more fear, my friend… »*
Je repartis le Dimanche , raccompagné par Jalil qui m’étreignit une dernière fois au poste frontière, puis par mes amis d ‘Ashdod à l’aéroport de Tel Aviv.
Vingt ans se sont écoulés, et les fous de Jéhovah, ne cédant rien, n'ont fait que favoriser l'essor des fous d'Allah et les multiples bains de sang dont la région est victime.
Les extrêmes des deux camps se sont nourris les uns des autres et fortifiés sur les cadavres des populations qu'elles prétendaient protéger ou libérer .
Je voudrais prier Allah pour que les fils de Jalil ne lancent pas de roquettes sur les petits enfants d'Ehud , et YHWH pour que ceux d'Hillel ne tirent pas sur ceux de Jalil …
Trêve de trêves momentanées, il est temps pour l'Europe et les USA de sommer Israël, « peuple sûr de lui et dominateur » de mettre au pas ses extrémistes et ses colons, dont l’arrogance , l’ intransigeance, et les rêves de Grand Israel nourrissent tous les intégrismes radicaux parmi lesquels le Hamas n’est qu’un des avatars.
Trêve de palabres avec Assad ou Khadafi, le moment est venu de rappeler au monde arabe que sa splendeur passée le fut dans l’harmonie avec les Juifs, telle celle du califat d’Espagne avec les colonies israélites de Grenade ,et ne se confondit jamais avec un fanatisme religieux qui porte en lui le risque d'affrontements aux conséquences incalculables.
Trêve de bonne conscience, il convient de dire à un certain Occident que les valeurs et intérêts des démocraties ne peuvent s'accommoder désormais des lubies de ceux qui se prétendent" Elus de Dieu" en Israël , que ce conflit est un cancer qui essaime depuis 50 ans ses métastases dans le monde avec des risques sans cesse accrus, et que nous devons aux Arabes plus de compréhension quand ce furent les Rois Catholiques qui chassèrent les Juifs d’Espagne, et l'Europe plutot que l'Orient qui imagina l'Holocauste.
Ainsi peut être Ehud et Jalil pourront ils un jour reposer en paix ....
Katsumoto
* "ne plus avoir peur, mon ami"