Ce matin se confirme la déroute de la production automobile en France, avec l'annonce de la fermeture de l'usine PSA d'Aulnay et le licenciement de 8000 salariés qui touche le coeur du savoir faire avec le sacrifice de la R&D.
Comment en est on arrivés là?
D'abord la baisse des marchés européens de 25% en 5 ans, la hausse des coûts salariaux avec les 35 heures notamment, une stratégie internationale timorée ( 61% des ventes en Europe) qui a longtemps piétiné en Chine, au Brésil et en Argentine, des échecs répétés aux USA, un positionnement produits bas et moyenne gamme.
C'est déjà beaucoup. Est ce suffisant ?
Non si l'on en juge par les résultats obtenus par Volkswagen, voire par Renault.
Le premier gagne beaucoup d 'argent et progresse partout, porté par l'image du "made in Germany", par une implantation ancienne en Amérique du Sud et efficace en Asie, par une politique de marque intellligente qui va du "low cost "avec Skoda aux marques "premium" avec Audi et maintenant Porsche, par la sous traitance en Europe Centrale, par une cogestion qui fait que les salariés ont pu accepter des sacrifices lorsque la situation était grave en 2004/2005 en contrepartie de la garantie d'emploi, par le rôle stabilisateur du Land de Basse Saxe.
Le second gagne de l'argent essentiellement grâce à un Nissan fort en Asie , en Amérique du Sud, aux USA et à Dacia "low cost" roumain en Europe et bientôt marocain.
Alors, qu'est ce qui explique la différence de situation?
Des raisons internes d'abord à commencer par un style de management militaire, avec des dirigeants autocrates issus de grandes écoles qui leur ont fait croire qu'ils étaient infaillibles sans avoir été préparés aux marchés mondialisés. Ce n'est pas une affirmation gratuite, car j'ai été cadre dirigeant de ce groupe.
La théorie "X" de management, calquée sur le modèle monarchique, étouffe le bon sens, l'agileté, gaspille les compétences,tue le progrès qui provient de l'intelligence mobilisée des équipes.
Ce n'est pas propre à PSA, mais c'est une des caractéristiques du mal français qui ronge nos grandes entreprises en concurrence avec la cogestion allemande, ou le consensus japonais.
Les mêmes qui invoquent l'industrie de " l'intelligence" ou stigmatisent la "rigidité du travail" refusent la première et confortent la seconde dans leurs bureaux et leurs usines!
Première leçon du drame: il n ' y a pas d'issue dans un monde concurrentiel intelligent tel qu'il est sans faire appel dans l'entreprise à la créativité et au bon sens de tous, et cela ne peut se faire sans la participation des salariés.
Des raisons externes ensuite avec la monnaie surévaluée.
Chacun sait que Citroen DS5, C5 ou encore Peugeot 508, n'ont pas l'image d'une Audi de même catégorie A4 ou A5 , qu'une 308 Peugeot ou une C4 ne sont pas à l'égal d'une Golf, ce qui signifie qu'avec des coûts de production similaires les prix de vente ne peuvent être les mêmes. Pour maintenir les volumes PSA s'est engagé dans une guerre des prix au détriment de ses marges, ce que Volkswagen n 'est pas contraint de faire, mais cela ne peut durer longtemps.
Si ce problème était limité à PSA, la solution serait à trouver en interne...s'agissant d'un problème de compétitivité qui touche toute l'industrie française, il faut se résoudre à accepter qu'il traduit une perte de compétitivité due à la monnaie surévaluée qu'est l'euro pour la France.
Dès lors il ne reste plus qu'à produire ailleurs, comme le fait Renault avec Dacia et Nissan !
Deuxième leçon donc: l'automobile française ne supporte pas mieux l'euro que les autres industries qui, depuis 10 ans, ont éffacé 1000 000 d'emplois ou demain Airbus contraint de s'installer aux USA.
Des raisons européennes aussi, car en 2006 PSA a ouvert une usine capable de produire 200 000 voitures par an à Trnava en Slovaquie, attirée par des salaires de 500€ par mois, un impôt société à 19% contre 33% en France et....une subvention de l'Etat slovaque , financée par l'Europe (c 'est à dire en partie par la France!) de 360 millions €.
La Slovaquie , petit membre de l'Union Economique sans marché intérieur, a pu se permettre d'attirer l'industrie automobile française et coréenne avec Hyundai grâce à la possibilité d'exporter sans taxes vers la France nos propres voitures et d'autres, tout en pratiquant le dumping fiscal, et en bénéficiant de subventions européennes auxquelles nous contribuons.
Troisème leçon: l'Europe libérale à laquelle tous nos gouvernements ont adhéré a encouragé la délocalisation de PSA et de bien d'autres!
Alors, que dire sinon que ce gâchis est le symbole médiatisé aujourd hui d'une déliquescence qui affecte toute notre industrie depuis longtemps, trop longtemps
Il n'y aura pas de rennaissance sans retour de l'Etat face à l'Europe libérale, sans dévaluation de la monnaie et réduction des charges, et sans association du capital et du travail dans l'entreprise.
Le premier parce que seul il peut dessiner un cadre de développement protecteur pour nos compétences, la seconde car seule elle peut remettre à niveau notre industrie qui n'est ni celle de l'Allemagne ni celle de la Chine, mais l'un et l'autre ne sauraient suffire contrairement ce que soutiennent les théories protectionnistes si nous ne savons pas mobiliser les intelligences et les énergies en associant chacun et chacune dans les projets et le quotidien des entreprises .
Nous revoici en vérité à la conception gaulliste de la société et de l'Etat qui est un tout indissociable et plus actuel que jamais.
Alors gardons nous des gesticulations politiciennes sur "un plan pour l'automobile" ou des études de tous bords, tandis que dans le même temps on s'accroche à l'euro, on décourage la participation en la taxant comme jamais, on dépense plus, et on conforte un dialogue social sans grand effet avec des syndicats si peu présents dans l'entreprise.
Cette agitation est tardive pour une industrie qui a fondu de moitié en 10 ans, et malheureusement hors sujet.
Roger Franchino