Les députés allemands ont approuvé , toutes tendances confondues, la réforme du Fonds Européen de Stabilité Financière, soulageant la pression des marchés qui exploitent les contradictions de l’Europe et lui imposent leur loi.
Ce ballon d’oxygène ne permettra cependant pas de traiter les causes de l’effondrement de la Grèce, prisonnière de ses erreurs et de sa légèreté, la première d’entre elles, taboue en public mais admise en privée, étant d’avoir voulu une monnaie trop forte pour elle.
Jamais la Grèce ne pourra rembourser ses dettes, encore moins demain dans l’austérité qu’hier dans la croissance : peu à peu ce qui paraissait une évidence à une minorité en 2010, semble s’imposer aux esprits européens les moins dogmatiques.
L’Allemagne, de son côté, prospère grâce à une puissance industrielle forte dotée d’une image « made in Germany » exceptionnelle et construite de longue date , à un pacte social particulier et séculaire, à un sens national inégalé, à une démographie peu exigeante.
Les pays dits du Sud , au premier rang desquels la France , n’ont rien en commun avec ce modèle. Des différences irréconciliables de cultures et de structures économiques, dont chacun sait qu’elles ne peuvent s’estomper que dans le très long terme, interdisent de prétendre y imposer démocratiquement le modèle germanique.
La Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Belgique, et la France, sans exclure une nécessaire discipline, ont plus besoin d’air et de croissance que de stabilité au sens germanique.
Dans l’Europe actuelle malheureusement, l’Allemagne et ses satellites s’y opposent via l’euromark, le traité de Maastricht même écorné, et la BCE qui n’est en réalité qu’une Bundesbank renommée.
L’euro géré comme le mark, c’est-à-dire surévalué par rapport aux grandes monnaies du monde, n’a bénéficié qu’à l’Allemagne, car dans une Europe ouverte à un Dollar, un Yuan ou un Yen qui font la guerre des monnaies, les pays du Sud avec leurs industries plus exposées ont nécessairement besoin de dévaluer.
L’euro fort, de plus, a permis à nos voisins d’Outre Rhin de mettre à l’abri des dévaluations européennes 40% de leurs exportations réalisées à l’intérieur de la zone en même temps que d’éliminer des concurrents plus faibles ou bénéficiant d’un consensus social plus fragile.
Le bénéfice de la monnaie unique pour l’Allemagne est si vrai que la banque d’Etat allemande KfW a calculé qu’elle lui a rapporté 30 milliards € de PIB supplémentaire par an au cours de chacune des deux dernières années !
C’est bien ce constat qui fait que l’Allemagne, même en grinçant des dents, essaie d’éviter à tout prix la sortie de la Grèce de la zone euro qui constituerait un précédent fâcheux.
Tout comme c’est pour soutenir une monnaie « aussi forte que le mark » que l’Allemagne a imposé à la France gribouille de Mitterand le traité de Maastricht avec son pacte de stabilité, puis la BCE et sa gestion malthusienne.
Et c’est enfin parce que cette Europe allemande se fissure avec une BCE contrainte malgré elle d’intervenir sur les marchés en rachetant des dettes grecque, italienne ou espagnole, que Mr Jürgen Stark rédacteur du pacte de stabilité et de croissance du traité de Maastricht vient de démissionner, suivant ainsi Axel Weber l’autre faucon de la Bundesbank.
Au total tout se passe comme si ce n’était pas l’Europe qui avait été construite depuis 30 ans, mais une zone économique germanique de l’Atlantique à la frontière russe, ouverte à tous vents parce que la machine outils et l’automobile de luxe d’outre Rhin l'exigent, avec un Ouest consommateur précarisé par l’euro et un Est, atelier à bas coûts, sous traitant du « Standort Deutschland» !
Reconnaitre cela ne signifie nullement en vouloir à l’Allemagne d’avoir su imposer son jeu et ses intérêts.
Reconnaitre cela c’est, en revanche, identifier les causes profondes des difficultés de l’Europe en même temps, bien sûr, que porter un jugement sévère sur la trahison de la France par ses élites politiques.
Dès lors tout le reste en découle. Une Europe libérale livrée aux produits chinois et obligée de délocaliser pour les plus faibles de son industrie, une Europe mondialiste que l’idéologie soumet aux objectifs à court terme des fonds anglo-saxons ou « souverains » exotiques, l’une et l’autre produisant depuis 30 ans croissance anémique donc chômage massif, et finalement endettement excessif puisqu’il ne se crée plus assez de richesses pour financer les Etats.
Le système se meurt parce que ses contradictions le condamnent.
Alors que faire ? Attendre tétanisés comme nos dirigeants européens l'ultime choc grec ?Faire la manche auprès des Chinois comme le fait le saltimbanque qui gouverne l’Italie ? Attendre le salut de l’Amérique en offrant un siège de l' Europe à Timothy Geithner comme le fait la si peu européenne Pologne? Organiser la fuite vers une techno –dictature européenne ?
Qui ne voit que cette Europe qui s’épuise et ne se respecte plus, ne peut susciter l’adhésion du cœur des peuples, condition pourtant nécessaire au sursaut?
Qui ne voit, dès lors que ce fédéralisme, appelé par les marchés et les utopistes européens, n’a pas de légitimité démocratique et n’apparait que comme la fuite en avant vers une forme de fascisme au service de la finance spéculative et déboussolée ?
Il faut donc en finir, malheureusement dans l’urgence et avec quelques risques, puisque l’on n’ a pas su le faire à froid plus tôt .
Comment s’y prendre ?
C’est à la France, je crois, d’en prendre l’initiative compte tenu de son poids économique et politique, et c’est avec l’Allemagne qu’il faut régler le dilemme directement car c’est de l’accord ou non de ces deux ci que dépend le destin de l’Europe.
La France doit convaincre l’Allemagne que l’Europe qu’elle a imposée voici 30 ans se meurt, que c’en est fini de l’euromark, de Maastricht, de la BCE Bundesbank, et du traité de Lisbonne.
L’euro n’a de chance de survie que s’il sert aussi la croissance des pays du Sud et accroit la compétitivité de tous. L’euro doit baisser rapidement de 30% par rapport au Dollar et au Yuan : la croissance moyenne de l’Europe doit être de 3% par an pour retrouver le plein emploi, rétablir l’équilibre des budgets d’Etat, réduire la charge de la dette et recréer de l’adhésion. Les statuts de la BCE doivent être modifiés en conséquence de même qu’il doit y être inscrit que sa stratégie sera une fois par an soumise au quitus des chefs d’Etats de la zone. Le traité de Maastricht doit naturellement être abrogé. Chaque membre de la zone euro doit être libre de la quitter définitivement et de retrouver sa monnaie dont la parité pourra être ou non défendue par la BCE. C’est ce qu’il est urgent d' offrir à la Grèce pour retrouver la croissance tout en passant collectivement par pertes et profits 50% de sa dette en échange d’une réforme de l’Etat et de l’appel à l’épargne locale pour substituer une part du solde.
L’Europe n’a d’avenir que si elle s’affirme en tant que bloc face à l’impérialisme économique chinois et, à moindre degré, américain. Le financement des Etats et de la protection sociale ne doit plus être supporté par le seul travail européen mais par les consommateurs, c’est à dire par tous les produits et services quelle que soit leur origine : la mondialisation ne doit pas être à sens unique. Une TVA sociale aux frontières de l’Europe s’impose donc. La préférence communautaire doit être rétablie, en particulier pour l’agriculture, les investissements d’infrastructures, les matériels militaires, les nouvelles technologies, et le nucléaire. Le dumping fiscal au sein de l’UE doit être banni ( Irlande, Slovaquie..)
Les marchés financiers doivent être mis au pas en Europe sans quoi nous perdrons la démocratie sans échapper à la misère et à la guerre civile. Pour prévenir les prétendus risques de faillite bancaire, les banques de la zone euro qui détiennent 60% des dettes souveraines, et sont aussi le premières à spéculer, doivent être nationalisées maintenant alors que leurs cours se sont effondrés : les Etats ne sauraient intervenir que pour renflouer les acrobates de la finance. Les dettes souveraines détenues par les fonds ou par de grands investisseurs étrangers doivent être substituées de manière anticipée en faisant appel à une épargne populaire strictement locale via de grands emprunts sur 20 ou 30 ans, éventuellement indexés. Les besoins de trésorerie des Etats doivent être financés uniquement par les banques centrales revenant ainsi sur les dispositions de 1973 qui l’ont interdit. Les activités de dépôt et d’investissement doivent être séparées. Les opérations à terme sauf les couvertures en devises doivent être lourdement taxées, les produits dérivés réglementés, les OPA à effet de levier strictement encadrées.
Dans la foulée il convient que le traité de Lisbonne, illégitime dans notre pays depuis que le « Non » au référendum sur la Constitution européenne a été bafoué par Mr Sarkozy, soit révisé en rétablissant la parité entre la France et l’Allemagne puisque l’une et l’autre sont en indivision de l’Europe indépendamment de leur poids démographique , et que tous les transferts de souveraineté décidés à cette occasion soient abrogés. Puisqu’il faut une gouvernance européenne, un nouveau traité européen devrait rétablir la primauté des 6 membres fondateurs et contributeurs plus la Grande Bretagne , seuls dotés d’un droit de véto, et limiter le rôle d’une Commission Européenne sensiblement amaigrie à la mise en œuvre des décisions du Conseil.
Est-ce réaliste ? L’Allemagne peut-elle accepter une telle remise en cause ?
Nul ne peut le dire.
Pourtant elle sait que le système qui a si bien servi ses intérêts est en passe de se retourner contre elle si la Grèce fait défaut, ou si la menace s’étend demain à l’Espagne ou à l’Italie.
En tous cas, il lui serait difficile de refuser si la France se montrait résolue.
C’est bien pourquoi, la France doit dès maintenant nationaliser ses principales banques, annoncer en même temps la restructuration de sa dette en faisant appel à une épargne nationale abondante, et s‘attaquer à une réforme profonde de l’Etat plutôt qu’à un énième plan d’austérité, tout en mettant sa partenaire au pied du mur.
Si celle-ci devait, d’aventure, faire sourde oreille, alors la France serait prête pour réintroduire, à regret mais résolument, le Franc c’est-à-dire à tuer l’Euro après avoir pris le contrepied de l’Europe libérale en réduisant sa vulnérabilité sur sa dette.
La France aura enfin retrouvé la maitrise de son destin et, ce faisant, sauvé une Europe menacée d’implosion voire de guerre civile. Manœuvre audacieuse, mais ô combien nécessaire face à ce qui menace !
Roger Franchino